Partagée entre la germanité et la latinité, la Suisse ne connaît guère de compositeurs d’envergure avant le dernier quart du 19e siècle. Cette situation est particulièrement sensible en Suisse romande où la vie musicale est assurée presque exclusivement par des Allemands (par exemple les premiers directeurs de la Société de chant sacré, Wehrstedt et Hugo de Senger) et où seuls de rares auteurs autochtones (François Grast, Charles Bovy-Lysberg) se livrent à la composition. Cependant, au cours des années 1880, apparaît une nouvelle génération de jeunes musiciens qui cherchent à doter le pays d’un art musical de qualité et s’efforcent de suivre une solide formation qu’ils vont chercher à Paris, à Vienne, en Allemagne. C’est le cas notamment d’Émile Jaques-Dalcroze, de Gustave Doret, et de Pierre Maurice, leur contemporain. Or si les noms des deux premiers ont été retenus, celui de Pierre Maurice, dont les œuvres ont été fort bien accueillies de son vivant, est tombé dans un oubli presque total.
Issu d’une famille d’origine provençale fixée à Genève depuis le 16e siècle, Pierre Maurice naît à Allaman (VD) le 13 novembre 1868. Il accomplit ses études au Collège de Genève, ville où il s’initie aux bases de la formation musicale, notamment l’harmonie avec Hugo de Senger. Après une année passée à Stuttgart, il entreprend, pour satisfaire à la volonté paternelle, une formation de banquier, tout en poursuivant avec Jaques-Dalcroze l’étude de l’harmonie et du contrepoint. Peu motivé pour les métiers de la finance, il parvient à convaincre son père qui l’autorise, en 1891, à s’inscrire au Conservatoire de Paris. Il y travaille avec Lavignac, Gédalge, et Massenet, qui lui enseigne la composition.
À l’issue de ses études, Maurice est déjà l’auteur de plusieurs mélodies, et de la suite symphonique Pêcheurs d’Islande d’après Pierre Loti, qui sera une de ses œuvres les plus fréquemment jouées. De plus en plus attiré par le théâtre lyrique, il entreprend un drame biblique, La fille de Jephté (1899), puis il achève en 1903 Le drapeau blanc, bref opéra en un acte créé au théâtre de Cassel. Fervent admirateur de Wagner, le compositeur s’installe en 1900 à Munich. Sa musique rencontre un accueil très favorable en Allemagne, où ses pages scéniques sont à l’affiche dans plusieurs villes, telle Misé Brun, crée à Stuttgart (1908), puis redonné à Weimar, Cobourg et au Théâtre allemand de Prague, qui connut un vif succès et sera repris en Suisse. Lanval, créé à Weimar en 1913, connaît moins de succès: il disparaît de l’affiche après quelques représentations. Andromède, achevé en 1913, ne sera monté qu’après la guerre, en 1923, à Bâle.
Les conditions de vie devenant de plus en plus difficiles en Allemagne, Pierre Maurice regagne la Suisse et s’installe dans sa propriété de La Pêcherie à Allaman. Il y écrit notamment deux ballets, des mélodies, ainsi qu’un ravissant opéra-comique intitulé La nuit tous les chats sont gris (1923) et une opérette, La vengeance du Pharaon (1935). Miné par la maladie depuis plusieurs années, il s’éteint à Allaman le 25 décembre 1936.
Jacques Tchamkerten